Portrait de Frédéric Vial dans La passion des couteaux
Design industriel : le renouveau de la coutellerie française !
Resté pendant longtemps le parent pauvre d’un métier de transmission et de création animé par des artistes-artisans, le design industriel signe aujourd’hui le renouveau de la coutellerie française… qui se découvre des marchés, jusqu’ici, insoupçonnés. Reportage, à Thiers, au sein de l’agence Amplitude.
« Dans une logique dite de marché, le design industriel a pour ambition d’apporter une vision globale pour qu’une création puisse à la fois remporter l’adhésion du public ciblé et atteindre les marges visées par l’entreprise émettrice », insiste Frédéric Vial, designer industriel, responsable de l’agence de design et de communication Amplitude, établie à Thiers (63), depuis 1998. Depuis une 20ène d’années, la coutellerie connaît une véritable mutation : en reprenant les rennes des entreprises familiales, la nouvelle génération d’entrepreneurs thiernois a remis en cause les méthodes dites traditionnelles pour tendre vers un mouvement d’autoproduction. La dimension artistique et la quête d’esthétisme sont venues s’inscrire dans une recherche plus large de différenciation, face à une concurrence devenue mondiale.
Donner du sens à une création
« De part notre regard de designer, nous interrogeons la façon dont les gens pensent, consomment, agissent, et les valeurs qui les animent, analyse Frédéric Vial. Aussi, au XXIème siècle, on ne peut plus penser un produit sans imaginer comment il sera recyclé en fin de vie, car c’est devenue l’une des attentes majeures des citoyens-consommateurs ». Une logique qui pousse le designer à interroger toute la chaîne de valeur industrielle, et ce, dès les phases amont de la réflexion. « Face aux imaginaires collectifs, nous sommes là pour définir et redonner du sens. » Cette quête de cohérence va des phases d’approvisionnement en matières premières, à la maîtrise d’un outil de production « propre », dans un souci constant de préservation de la planète et de ses ressources.
Standards mondiaux… champions locaux !
Ancrée sur son territoire, l’agence Amplitude a gagné ses lettres de noblesse à travers la création d’un sommelier-limonadier, début 2000, pour la confrérie du couteau Le Thiers. « Nous avions carte blanche, se souvient, ému, Frédéric Vial. Notre rôle a consisté à déplacer les lignes ». En résulte une première mondiale : l’invention d’une mèche à fil conique renforcée à son talon afin d’obtenir un bras de levier plus long, plus fort, ce qui permet ainsi de ne plus casser de bouchons à l’ouverture d’une bonne bouteille. Vingt ans plus tard, la mèche à fil conique est un standard dans la sommellerie… pour le plus grand bonheur du fabricant, l’entreprise Gorce, établie à Saint-Rémy-sur-Durolle (63), capitale mondiale du tire-bouchon ! Un succès partagé avec un autre industriel local, Florinox. « De père en fils, l’entreprise Florinox s’est toujours inscrite dans une démarche de recherche et d’innovation », reconnait Frédéric Vial. « De collaborations en collaborations, nous sommes devenus une sorte de bureau d’études ultra-complémentaire à l’agence Amplitude : ensemble, nous concrétisons la vision qu’apporte le design industriel aux créations qui nous sont demandées », insiste David Morel, responsable de Florinox dont le savoir-faire est apprécié de Petzl, à Wichard en passant par LVMH.
L’incroyable épopée du couteau Kiana
Reposant sur une relation de confiance, Florinox n’hésite plus à faire appel au regard de son « designer préféré ». C’est ainsi qu’est né, en 2017, le modèle Kiana, un couteau fermant, de poche, tout terrain. « Un couteau baroudeur », comme le qualifie Frédéric Vial. Devant le succès rencontré, David Morel a l’idée de décliner et de commercialiser un Kiana de table. Mais, pour le designer, « ce n’est pas si simple ». « Les conditions d’usage ne sont pas les mêmes, ni les modes de vente, commente Frédéric Vial. Dans les arts de la table, il y a des codes, des tendances, des attentes : si le couteau de table est tenu de manière raffinée, il faut venir épouser ses codes ». Tenant compte de l’outillage à injection plastique et des multiples possibilités offertes par le numérique, l’agence de design planche sur des esquisses : finalement, une nouvelle ligne voit le jour. Menée à son terme, l’étude en design produit confirme de nouvelles potentialités pour l’industriel avec des ventes adaptées à la fois au e-commerce, au réseau de détaillants et aux boutiques coutelières traditionnelles. Le tout, 100 % made in France, avec anticipation du recyclage en fin de vie.
Figure de Style, nouvelle maison d’édition
Ce processus de création partagé laisse place à un fourmillement d’idées… dont certaines ne demandent qu’à voir le jour. Notamment, la création de très beaux objets distinctifs, à forte personnalité, s’inscrivant dans la transmission de savoir-faire et de savoir-être. De futurs objets qui ont déjà une histoire, un commencement, sont le fruit d’échanges avec des faiseurs talentueux. « Parce ces objets dits sont déjà la promesse d’un voyage, d’une destination, d’une rencontre, nous avons créé Figure de Style, maison d’éditions d’objets signature pour leur donner une chance d’être édités, poursuit Frédéric Vial. Ces créations doivent être révélées, et pour cela, ils font aujourd’hui les raconter, les narrer, car ces objets signature sont des passeurs d’émotions ». En témoigne, la naissance du sommelier-limonadier SummerTime, une création originale empreinte de poésie, de jazz, de musique et d’amitiés, co-imaginée et fabriquée dans les ateliers Florinox. « La sommellerie, l’œnologie, l’univers de la vigne et du vin, tout comme la gastronomie, recouvrent une pléiade de métiers faits de passion et de transmission, dévoile Frédéric Vial. En hommage à tous ces artistes et artisans, nous avons souhaiter décaler les lignes, y compris celles de l’industrie coutelière : nous nous adressons ici à des individus, non pas à un marché ».
Micro-série et objet « signature »
Pour assurer de la micro-série et tendre vers « l’objet signature », Figure de Style a encouragé Florinox a adapté son processus de fabrication pour tendre vers le « sur-mesure », grâce à la performance de l’outillage numérique, poussant l’industriel dans ses retranchements. « Pour suivre les courbes biseautées du crapaud, nous avons exploré différents procédés (empilement de pièces, usinages multiples, etc.), pour finalement inventer une technique totalement nouvelle qui nous ouvre de formidables possibilités à l’avenir, s’exclame David Morel pour qui « SummerTime est vrai et beau challenge, à la fois esthétique, fonctionnel, mais surtout audacieux ! » Car, des prouesses, il en a fallu, y compris pour « mettre au point le ressort unique à trois branches, qui permet de limiter le nombre de pièces et la matière nécessaire, ce qui demande moins d’opérations au montage, et permet de gagner en fluidité quand on ouvre un grand cru ! ». Heureux hasard : le lancement du sommelier-limonadier SummerTime arrive avec une magnifique promesse « les plus belles soirées d’été propices aux savoureuses dégustations ». Place à l’émotion.